Bon, j'ai vu que Kilirane avait posté un article sur l'avenir du média jeu vidéo. Il se trouve que j'ai moi aussi été confrontée au même exercice, et je me suis dit "Pourquoi pas le poster moi aussi ?", car j'ai remarqué que, bien que nous traitons du même sujet, nous ne disions pas du tout la même chose !
Voyez ça comme un "complément"
Quand on me demande en quoi consiste mon futur métier, je réponds que le game designer est le garant du fun dans un jeu vidéo. C’est lui qui réfléchit aux interactions entre le joueur et la machine, pour que l’utilisateur trouve le produit intuitif et puisse y passer du bon temps. Lorsqu’une personne s’amuse dans un jeu vidéo, c’est que le travail est bien fait.
Mais j’omets peut-être de mentionner que le jeu vidéo n’est pas la seule vocation d’un game designer.
Les jeux vidéo m’accompagnent depuis plus de 15 ans ; je suis littéralement née avec une manette dans les mains. Cette passion, j’ai voulu en faire mon métier, et j’étudie le game design depuis maintenant deux ans. Mais durant ces deux années, j’ai aussi appris qu’un game designer pouvait être appelé à travailler sur d’autres formes de jeu.
Souvent, je me surprends à me dire “Hey, mais c’est du game design, ça !”. Si nous regardons autour de nous, le jeu est partout. Pourquoi un game designer devrait-il se contenter de travailler sur des jeux vidéo ? Un monde immense lui tend les bras, prêt à l’emploi. C’est ce qu’on appelle la gamification : insérer du contenu ludique dans un média initialement non-prévu à cet effet.
Insuffler du jeu dans les sites Internet...Aujourd’hui, un site web n’a que quelques secondes pour convaincre un internaute, avant que celui-ci ne passe à autre chose. Il faut donc redoubler d’astuce pour capter l’attention de l’utilisateur ; un bon site internet doit être clair, joli et ergonomique. Mais, la concurrence aidant, cela ne suffit pas toujours pour retenir un internaute pressé, et surtout pour le faire revenir.
Il y a quelques années, j’avais l’habitude de me rendre sur le site de J.K. Rowling, la désormais célèbre auteur de Harry Potter. À l’époque où tous les tomes n’étaient pas encore parus, le(s) webmaster(s) distillaient les infos sur le prochain opus sous forme d’énigmes.
Ce site tout en Flash à l’aspect brouillon est en réalité très organisé. Le téléphone, posé sur le bureau, était en apparence futile mais il cachait une autre fonction. Les visiteurs devaient en fait taper les 4 chiffres correspondant au code d’entrée du Ministère de la Magie (présent dans le 5ème tome) pour découvrir une information... utile à la prochaine énigme du site.
Ces éléments ludiques donnaient l’impression aux fans d’avancer ensemble pour une même cause, mais également d’avoir l’impression d’accéder à quelque chose de secret, en parcourant cette maison qui semblait être celle de l’écrivain. En outre, cette démarche fidélisait les visiteurs, qui venaient régulièrement voir si le site avait été actualisé.
Certaines sections du site, en apparences banales, donnaient lieu à des énigmes. Certes, la saga Harry Potter disposait et dispose encore d’une fan-base exceptionnelle, mais je pense qu’il est possible d’imaginer un système similaire pour d’autres licences. Je suis souvent frappée de voir à quel point les sites officiels des marques sont trop souvent lisses et fades Ce genre d’initiatives permettraient de leur donner un peu de vie, et certainement d’augmenter leurs visites tout en créant un buzz opportun.
… Ou dans l’évènementielQuelques sociétés ont déjà expérimenté le jeu durant un évènement ponctuel. Durant la dernière Japan Expo, le stand Nolife proposait des jeux-concours avec des lots à gagner. Il fallait par exemple trouver une personne avec un ruban rose, ou déguisée en Lara Croft, et la convaincre de venir sur le stand ; les deux personnes recevaient alors un cadeau.
La Japan Expo, l’un des plus grands salons français annuels. Ces initiatives sont encore timides, mais on peut imaginer que le jeu prenne une part plus importante dans ce genre de manifestations. L’événementiel offre d’immenses opportunités ludiques : il comprend un lieu et un public, qui ont la plupart du temps un intérêt commun.
Les reality shows, les “jeux humains”Lorsqu’on analyse un jeu de télé réalité sur la durée, on s’aperçoit que rien n’est dû au hasard, et que les candidats sont loin d’être livrés à eux-mêmes.
Ces jeux télévisés ont pour but de divertir ses téléspectateurs. Or, comment rendre intéressant un programme quotidien où sont enfermés une dizaine d’inconnus ? Les conflits et les histoires de cœur sont générateurs d’audimat, c’est pourquoi la quasi-intégralité des évènements est planifiée pour accroître la tension dramatique. La base du jeu est elle-même génératrice de conflit : les candidats doivent se battre pour rester, car chaque semaine l’un d’entre eux est éliminé. L’enfermement est également une cause évidente des nombreux “clash” qui se déroulent dans ce genre d’émissions.
Secret Story et sa mécanique bien huilée, actuel leader de la télé réalité en France. Afin d’obtenir l’effet escompté, des personnes chargées de penser le déroulement du jeu ont pour tâche d’anticiper les évènements sur la durée. Tout est prévu à l’avance ; les missions données aux candidats, les nominations préprogrammées, les différents rebondissements et même la sélection des candidats eux-mêmes.
Malgré tout, il ne suffit pas de prévoir un panel d’évènements et de regarder les candidats évoluer. En fonction du déroulement du jeu et des affinités des candidats, les producteurs arrangent les évènements pour créer plus de tension dramatique.
Ces pratiques sont certes discutables, mais elles ne relèvent pas moins du game design : inventer, imaginer des règles et prévoir le déroulement du jeu pour offrir une expérience divertissante. En outre, ce sont des programmes de divertissement qui demandent de la planification avant le jeu, puis qui nécessitent un suivi quotidien. Des tâches toutes trouvées pour un game designer !
Le livre dont vous êtes le héros, une méthode de storytelling immersiveLes livres dont vous êtes le héros sont en fait des jeux d’aventure : le lecteur est amené à faire des choix et à récolter des indices ou des objets afin de faire progresser l’intrigue. Ce genre de fiction donne une impression de liberté au lecteur qui n’est en fait qu’illusoire : l’auteur aura pris le soin de prévoir une multitude d’embranchements et de chemins possibles. Le lecteur n’en utilisera au final qu’une petite partie.
Les jeux vidéo utilisant les ressorts ludiques de la fiction interactive existent. C’est le cas de Heavy Rain, sorti l’an dernier. Le jeu est une succession de scènes qui s’embranchent au gré des choix du joueur, exactement comme son pendant “papier”.
Heavy Rain, ou l’adaptation en jeu vidéo d’un livre dont vous êtes le héros. Dans le cadre de mes études, j’ai été amenée à travailler sur un livre dont vous êtes le héros. La difficulté résidait dans le fait d’offrir un contenu divertissant et cohérent au lecteur ; ces ressorts ludiques relèvent plus du domaine du jeu que de l’exercice littéraire.
Le boom des ARGLe jeu peut être porteur d’un message, et les annonceurs l’ont bien compris. Ils sont de plus en plus nombreux à faire jouer leurs potentiels clients afin d’ancrer une marque ou un produit dans l’esprit des consommateurs, à travers les ARG.
De nos jours, les ARG se démocratisent et s’adaptent à un plus large public. Mais il existe encore des ARG “hardcore”, qui demandent une implication conséquente, comme c’était le cas pour le Potato Sack de Portal 2. Cet évènement était principalement destiné à un public de passionnés de jeux ; Valve s’est donc permis de proposer un ARG avec une difficulté corsée, tout en entretenant le buzz parmi la communauté des joueurs de Steam.
Le « Potato Sack » proposait de résoudre des énigmes sur la plateforme de téléchargement Steam. Les ARG “casual” sont les plus courants. Ils se destinent à une très large audience et sont principalement utilisés par des annonceurs souhaitant marquer l’esprit du public par le jeu. La difficulté est moindre mais le principe est assez inédit et accrocheur pour que le message soit retenu.
Apprendre en jouant ?Je me souviens qu’en classe de troisième, le professeur de français avait organisé un grand jeu de rôle sur le thème des procédures pénales. Chacun incarnait un personnage ayant un rôle défini (avocat, juge, témoin...). Cet exercice puisait ses origines dans les Murder Party, ces JDR grandeur nature qui proposent de revivre une enquête policière. La difficulté était de former un tout cohérent pour la date du procès. Pour l’occasion j’étais avocate de la défense, et une chose est sûre : je me suis amusée du début à la fin. Ca fait plus de six ans maintenant, et je m’en souviens encore !
Le jeu a une portée éducative évidente qu’en France, nous avons tendance à sous-estimer. L’Education Nationale persiste à vouloir enseigner de façon classique et académique, ce qui est à mon sens une grave erreur. Ce n’est pas un hasard si la réussite des écoles scandinaves est si exceptionnelle : ces pays ont bien compris que l’apprentissage est beaucoup plus efficace s’il est expérimenté par le jeu.
En Finlande, les enfants sont régulièrement sollicités par le jeu. C’est cette prédisposition de l’être humain au jeu qui a poussé les entreprises à s’intéresser aux Serious Games il y a quelques années. Ces jeux d’un genre nouveau proposent de diffuser un message éducatif à partir d’une expérience ludique ; mais ils se cantonnent encore très largement au jeu vidéo.
Que faut-il en conclure ? La majorité des médias suscités ont tous un point commun : ils se prêtent très bien à la gamification. Le game design consiste à encadrer un public pour leur faire vivre une expérience divertissante, et ces compétences peuvent s’exercer bien au delà du jeu vidéo. ARG, relality show, livre dont vous êtes le héros, jeux vidéo... tous ces domaines se rejoignent. Ce ne sont pas les seuls, et il y en a bien d’autres. Tout ou presque est prétexte au jeu.
Actuellement, le rôle du game designer est cantonné au seul jeu vidéo. Les formations dispensées dans les écoles spécialisées sont uniquement axées en ce sens, mais pouvons-nous imaginer un avenir où le game designer sera formé au jeu dans sa définition la plus générale ?